La Cascade Ce vendredi 17 mai , le ciel est pommelé, chaque ferme de la campagne limousine a son petit cumulus pour veiller au bon déroulement de la journée, le ciel n'est plus muet comme souvent ces dernières années, comme ces jours de grands bleus où tout se perd dans l'azur. J'accompagne Olivier du conservatoire national botanique dans un inventaire autour du Brézou, une belle rivière qui trace son chemin d'est en ouest sur les plateaux du Bas Limousin en Corrèze. Des parisettes nous ont fait une jolie surprise dans la forêt domaniale de Blanchefort qui se referme un moment sur la rivière, ce sont des plantes rares dans nos contrées. Au retour vers nos véhicules garées plus haut sur un chemin d'accès, nous avons un peu de temps pour fouiller autour du Moulin de la forêt qui se tient, inoccupé au fond du vallon. Adossé à la forêt, un bief amène de l'eau au moulin par une prise d'eau quelques centaines de mètres en amont du Brézou. C'est un canal empierré large d'un mètre cinquante qui bouillonne en ce moment avec le printemps pluvieux et frais que nous subissons cette année. Je longe le bief sur l'épaisseur du mur et je tombe dans l'eau, le courant m'emporte , je n'arrive pas à me relever malgré la profondeur assez médiocre du canal. Je me retrouve à la fin du canal qui se déverse latéralement par une trouée béante. Je n'ai pas le temps de penser à la chanson de Popol "si tu aimes la vie, ne l'a fous pas dans le canal". Le courant me happe dans cette ouverture latérale, mes sacs amplifient la force de l'eau. J'appelle à l'aide Olivier qui se trouve en contrebas à 30 m de là, près de l'eau du canal qui s'est déversé par une cascade rocheuse pour rattraper le cours du Brézou quelques mètres plus bas. Olivier m'entend pas tout de suite, il me voit pas en contrebas, il est occupé à photographié Poa chaixii : le pâturin des Sudètes trouvé plus haut dans la forêt. J'essaie d'ouvrir complètement me jambes pour ne pas me faire avaler par la bouche monstrueuse, Olivier a entendu mes appels, il vient m'aider, il réussit à rester debout dans l'eau du canal, seul accès possible pour m'aider, je lâche une main de l'appui du mur du canal qui me permettait de résister à l'avalement pour attraper sa main secourante, mais je pense assez vite que ne sera pas suffisant pour sortir de là, je pense qu'il m'a tenu un moment le poignet au niveau de ma montre qui s'est arrachée et perdue, puis nos mains s'accrochent désespérément : un mano à mano qui glisse doucement;. Je sens que j'entraîne Olivier vers un destin incertain que promet la chute sur les rochers après le dévidoir. De longues secondes s'égrènent là, dans le calme du vallon isolé, dans le bruit du tumulte de l'eau qui plonge un mètre après l'ouverture pour éparpiller ses molécules qui donne ces petits nuages pommelés, pas de révolte en moi, avant la porte du néant, il ne se passe pas grand chose également ..., seule une sorte de grande tristesse m'envahit, je vais lâcher la main d'Olivier, je lâche sa main et je pars ... Je fais ma cascade, ma CHUTE, pas de détails, c'est très rapide dans les rapides, je suis sur un rocher au milieu de la hauteur de chute d'eau, j'ai du atterrir sur le dos, sans doute sur l'épaule droite, je sens pas grand chose, mes bottes tiennent bon sur un rebord rocheux qui me cale pour ne pas descendre plus bas, Olivier a réussi à remonter du canal, soulagé par ma déprise, il est à côté de moi, mais hors de l'eau, c'est plus facile pour m'extirper. Je suis sorti de là, mes affaires sont en vrac, je lui laisse, je ne peux rien prendre, je marche vers les voitures qui sont là bas à cent mètres, je ne sens toujours pas grand chose, mais je suis complètement de travers, mon coté droit à vraiment du mal à fonctionner, nous sommes aux voitures, comme je marche pas mal, j'estime que je peux conduire, je monte dans ma tire, je démarre je roule cinq cents mètres pour m'extraire du chemin et retrouver la bonne odeur du goudron, je m'arrête et j'attends Olivier qui, je suppose va me suivre avec sa voiture, que fait-il ? J'attends de longues minutes, je sais maintenant qu'il faut que j'aille à l'hosto, à Brive à environ 30 km, je sens que je ne peux plus me servir du côté droit, j'enclenche la troisième, on peut conduire sur cette seule vitesse en débrayant pour ralentir et passer les intersections en gérant tout cela, je ne vois toujours pas Olivier derrière moi, je roule vers Brive sur l'ancienne N20 plus calme que l'autoroute qui la double dans ce secteur. Je conduis d'une seule main comme dans les temps révolus où je partais en exploration des contrées imaginées par une consultation assidue de l'atlas. J'aime rouler ainsi doucement en pénétrant les paysages. Je peux plus me servir maintenant du bras droit. Il y un orage qui se développe vers la gauche, les petites pommes blanches se sont réunies en un noir dessein, la pluie va balayer des réunions champêtres qui se tiennent là certainement dans ce décor. Brive est là en bas de la vallée de la Corrèze, je descends vers l'hosto, je sais qu'il n'y a aucun feu rouge jusque là, j'ai juste à gérer ma vitesse avec mon pied droit sur l'embrayage. Je suis sur le côté de l'hosto, je dois donner des nouvelles mais mon portable a pris l'eau comme tout le reste, je me gare sur un trottoir prévu pour cela, je descends de voiture, je suis de travers dans mes bottes encore remplies d'eau, j'interpelle des personnes en disant que je suis blessé, mais ça marche pas, un double flop, cadencé par le bruit de mes bottes, j'ai du mal à atteindre les urgences car des passages sont fermées par des travaux, les gens me regardent bizarrement, je suis affaissé d'un côté, toujours trempé. J'arrive sur le plot des urgences prêt à m'évanouir, j'ai la vue trouble ; ah ! je n'ai plus mes lunettes, elles doivent descendre en rebonds le Brézou et mon chapeau de paille avec. A l'entrée des urgences, Il y a le camion du Samu et quelques personnels soignants qui s'affairent autour. ils se tournent vers moi, je leur dit que je suis blessé, ils sont étonnés de me voir arriver ainsi et me proposent donc une candidature spontanée aux urgences (sic!), ils m'emmènent dans les locaux où j'ai un peu de mal à faire comprendre que je suis tombé dans une cascade, enfin on m'installe, on me retire les bottes, un alevin frétille maintenant sur le sol des urgences ... Dimanche de Pentecôte : De retour à la maison, les nuits ont été difficiles, je suis mâché de partout, aux urgences, ils ont remis mon épaule droite qui était complètement déboitée, je n'ai rien vu à cause du gaz hilarant. Mais cette tristesse naît au moment critique où je lâchais ne m'a pas vraiment quitter, je ne sais pas encore ce qu'elle va devenir. ... Olivier vient de passer avec sa compagne, j'ai réussi à le joindre près l'hosto, il était troublé au Moulin et ne retrouvait pas ses clefs de voiture, je lui demande quelle était la hauteur de ma chute dans la cascade ? je pense 2 à 3 mètres, mais il me dit qu'il y avait cinq mètres. |